Historique de la Société

Prof. Marie-Thérèse Isaac

Appelé, dans cette occasion solennelle, à l’honneur de porter la parole au nom de la Société des Sciences, des Arts et des Lettres du Hainaut, je ne puis me défendre d’un sentiment de profonde et légitime émotion. C’est par ces mots, qui pourraient aussi être les miens que, le 1er août 1858, le président, l’avocat Hippolyte Rousselle (Mons, 1809 - Paris, 1868) commençait son discours célébrant le vingt-cinquième anniversaire de la fondation de la Société. C’est en effet le 8 mars 1833, soit trois ans à peine après l’indépendance du pays, que 46 personnes issues de la bourgeoisie montoise en ont signé le premier règlement: Le but de la Société est de cultiver les Sciences, les Arts et les Lettres, d’en répandre le goût, d’en encourager l’étude, et de contribuer à leur développement ainsi qu’au succès de leur application. Les membres se réunissent pour se communiquer le résultat de leurs observations et de leurs travaux.

L’Observateur. Journal de la Province de Hainaut dans son numéro 2133 du vendredi 22 mars suivant s’en fait l’écho : Une institution que réclamait l’état actuel de la civilisation et des lumières, vient de se fonder à Mons, sous le titre de Société des sciences, des arts et des lettres. Cette société qui, à peine formée, compte déjà quarante-six membres, s’est constituée définitivement dans sa séance du 14 de ce mois. Après en avoir signalé le but, l’article se termine par ces mots : Monsieur le Gouverneur de la Province, s’est empressé de mettre à leur disposition le beau local préparé à l’Hôtel du Gouvernement pour servir de cabinet de minéralogie Il m’est agréable de préciser que la Province de Hainaut accueille le siège de notre Société à la Maison Léon Losseau, nous permet d’y tenir nos quatre séances publiques annuelles et nous apporte également une aide financière. C’est pourquoi la Société, par mon intermédiaire tient, dès à présent, à remercier Monsieur le Gouverneur Claude Durieux et Monsieur le Gouverneur honoraire Michel Tromont, pour ce soutien jamais démenti.

Mais de quoi se préoccupait-on, à Mons et dans la province, en cette année 1833? Nos concitoyens sont inquiets à cause des relations, non encore pacifiées, entre la Belgique et la Hollande. Le 15 février, L’Observateur. Journal de la Province de Hainaut. (n° 2123) reproduit un projet de traité remis par La Haye aux ministres plénipotentiaires de France et de Grande-Bretagne et publié dans le Handelsblad. L’article 5 est particulièrement significatif : S.M. le roi des Français et S.M. le roi de Grande Bretagne s’obligent à obtenir de la Belgique le paiement à dater du 1er janvier 1833, de huit millions quatre cent mille florins, annuellement, payables au trésor hollandais. Le 7 mai, des élections étant proches, le journal (n° 2146) fait appel au bon sens des électeurs qui ne peuvent accepter de sacrifier encore une partie du territoire aux exigences de la Hollande et de lui payer annuellement un énorme tribut qui serait encore augmenté ruinant ainsi le commerce et l’industrie. Le 31 mai, le même journal (n° 2153) signale qu’un traité préliminaire entre la France, la Hollande et l’Angleterre, soumis au roi Guillaume, consacre provisoirement la navigation libre sur l’Escaut et la Meuse d’après le tarif du traité de Mayence..., déclare l’armistice indéfini et stipule la levée de l’embargo et la remise des prisonniers hollandais. Le 9 août cependant, le journal (n° 2173), dont le titre est devenu L’Observateur du Hainaut, constate que la Belgique et la Hollande, malgré l’exiguïté de leur territoire tiennent sous les armes presqu’autant de soldats qu’en avait à peine rassemblés Louis XIV. Les destinées des deux pays se jouent à la conférence de Londres, mais Nos ambassadeurs sont-ils réellement admis sur le même pied que ceux du roi Guillaume ? Le contentieux entre la Belgique et la Hollande sera définitivement réglé le 19 avril 1838. Rappelons cependant que, sous le gouvernement hollandais (1815-1830), notre pays a connu une modernisation de son système d’enseignement, efficace, réellement appliquée et contrôlée par l’État. Autre fait préoccupant relevé dans le journal de 1833 : tout au long de l’année, à chaque parution, la lecture des mouvements de l’état civil nous amène à une triste constatation : les nombreux décès d’enfants âgés de quelques mois, voire de bébés âgés de quelques jours. Enfin, reflet des opinions de l’époque : le 19 juillet, le journal (n° 2167) rapporte qu’une imprimerie bruxelloise remplace les compositeurs par des jeunes filles : Si l’essai réussit, le sceptre de Gutemberg va tomber en quenouille. Sans commentaire.

Quoi qu’il en soit, malgré les problèmes d’un pays à peine né, réjouissons-nous, la science et la culture en général ont cimenté un sentiment d’appartenance à une province au sein d’une nation qui va bientôt songer à statufier ses gloires nationales. Favoriser la connaissance du passé était censé promouvoir l’amour de la patrie.

Lors du premier anniversaire de la Société, le 14 mars 1834, le premier président, Victor François, médecin de profession, rappelait les circonstances de la création : Il y a un an, quelques bons citoyens, ayant foi en leurs compatriotes, jugèrent que la ville de Mons renferme dans son sein les éléments propres à former le noyau d’une Société ayant pour but de rendre aux sciences, aux arts et aux lettres le culte qu’ils réclament. Mais il soulignait aussi les difficultés rencontrées, sans les préciser, et surmontées : Il est inutile... de passer en revue les obstacles que le nouveau projet eut à vaincre pour arriver à bonne fin : toute association d ont les travaux de l’esprit sont l’objet met en jeu trop d’amours-propres, excite trop de prétentions pour qu’elle s’établisse impunément. C’est aussi dès ce premier anniversaire qu’il soulignait l’importance de l’instruction : Il est permis d’affirmer, sans crainte d’être démenti par l’expérience, qu’une nation possède d’autant plus de savants que l’instruction y est plus à l’honneur. Il relevait aussi une constatation communément répandue à l’époque, à savoir que nos compatriotes n’estimant que ce qui a reçu la sanction de l’étranger amène des chercheurs, dans quelque domaine que ce soit, à s’expatrier. Les choses ont-elles changé depuis cette époque? Je laisse à tout un chacun le soin d’en décider. À l’issue de cette première année, la Société compte 71 membres effectifs auxquels il faut ajouter 11 membres correspondants. Ces derniers résident soit dans une autre province soit dans un autre pays; des étrangers, la première année uniquement des Français, figurent aussi sur cette liste.

En 1835, soit deux ans après la fondation, au cours de la séance publique du 14 mars, Victor François fait part de son souhait : élargir le champ d’action de la Société en dépassant le cadre montois pour l’étendre à la province toute entière espérant ainsi rassembler dans un vaste mais solide réseau, dont le centre serait à Mons, tous les hommes, ou capables, ou désireux de nous prêter le secours d’une active coopération, aussi bien que d’une bonne volonté... nous avons senti le besoin de nous associer pour former un faisceau de connaissances qui devienne de quelqu’utilité à nos concitoyens, car c’est là l’objet de tous nos efforts.

C’est aussi dès ses débuts que la Société décide d’organiser des concours. L’article 32 de son Règlement précise que La Société peut mettre chaque année au concours une ou plusieurs questions... Aucun ouvrage déjà livré à l’impression ne sera admis au concours.

Exemples de sujets proposés en 1835 et reproposés, faute de candidats, en 1836 :

Au moment où des routes de fer s’établissent en Belgique, déterminer jusqu’à quel point ces routes peuvent être avantageuses dans le Hainaut, province essentiellement industrielle et agricole. Décrire l’état politique, administratif, religieux et industriel du Hainaut à l’avènement de Philippe II, et quelle part cette province a prise aux troubles des Pays-Bas pendant le règne de ce monarque. Tracer l’historique de l’introduction des machines à vapeur dans le Hainaut, écrire les perfectionnements successifs qu’elles y ont subis jusqu’à ce jour; signaler les diverses applications que ces machines ont reçues dans la province et déterminer l’influence qu’elles y ont exercées sur l’industrie et notamment sur l’exploitation et le commerce du charbon de terre. Célébrer dans une pièce de 200 vers au moins, le courage des Nerviens dans la lutte qu’ils ont soutenues contre les Romains.

Seule la troisième question a reçu réponse. Albert Toilliez, conducteur des mines à Mons, a reçu la médaille d’or vu la qualité de son travail. Pour la quatrième question, une médaille d’encouragement a été décernée à Prudent Van Duyse, avocat et archiviste de Termonde.

Lors du septième anniversaire de la Société, l’importance des arts est soulignée avec insistance par le deuxième président, le juriste Nicolas Defuisseaux (1802-1857) : Quand un peuple répond avec enthousiasme à l’appel des arts, il peut espérer conquérir cette puissance d’intelligence qui commande la considération au dehors et lui assure à l’intérieur une durable prospérité. C’est à ce moment également que la Société des Sciences, des Arts et des Lettres du Hainaut jette les bases de sa collection de Mémoires et Publications; le volume ne portera ce titre qu’à partir du tome 2.

Quelques années plus tard, la Société et son président, l’avocat Camille Wins (1803 -1856), ont joué un rôle dans l’érection d’une statue en l’honneur de Roland De Lassus. À l’occasion de la pose de la première pierre du piédestal en 1851, le président rappelle que le Hainaut, en matière musicale, a vu naître non seulement Roland de Lassus (1531-1594), familier des cours d’Europe, maître de chapelle du duc Albert V de Bavière, anobli par l’empereur Maximilien II, mais aussi Guillaume du Fay (vers 1400-1474) qui a porté à Rome la renommée du Hainaut, Josquin Desprez (vers 1440-1521/27), accueilli à Ferrare et à Paris, et François-Joseph Gossec (1734-1820), compositeur d’opéras et de musique accompagnant les fêtes patriotiques à la Révolution. La statue de Roland de Lassus, oeuvre du Tournaisien Barthélémy Frison, est inaugurée à la place du Parc en 1853. Hélas, lors de la Première Guerre mondiale, l’occupant l’a transformée en obus.

C’est aussi Camille Wins qui, lors de son discours d’ouverture du 9 avril 1855, relance une idée déjà évoquée quelques années plus tôt : l’érection d’une statue en l’honneur de Baudouin, empereur de Constantinople, comte de Flandre et de Hainaut, « auteur des chartes de l’an 1200 », comme le signale l’inscription sur la statue. L’idée fait son chemin malgré des détracteurs, Baudouin n’ayant pas conquis Jérusalem, comme il était censé le faire, mais Constantinople, pays chrétien à l’époque. La Société des Sciences, des Arts et des Lettres, à la demande de la Ville, remet à celle-ci un rapport sur la question. Finalement, la statue est érigée en 1868, mais n’a pas fait l’objet d’une inauguration officielle, il y eut trop de polémiques autour du projet. Aujourd’hui encore, la statue est mieux connue sous le nom de « cheval de bronze ».

En 1859, la Société compte déjà un quart de siècle. Hippolyte Rousselle préside la cérémonie. Il rappelle que vingt-cinq ans plus tôt quelques hommes de coeur, d’intelligence, pleins de patriotisme et de goût pour l’étude, conçurent le projet de doter notre province d’un puissant élément de progrès et d’y activer un foyer d’émulation... La Société des Sciences, des Arts et des Lettres du Hainaut était fondée.

Dans les années 1870, les luttes sociales, particulièrement virulentes dans le Hainaut industriel, se répercutent dans les discours. Le 21 juillet 1875, le vice-président Adolphe Devillez, directeur de l’École des Mines, prononce le discours d’ouverture de la nouvelle session. Il préconise, pour faire disparaître les dissensions sociales, que l’ouvrier devienne l’égal de son maître. Mais cette nouvelle donne sociale,

ajoute-t-il, ne peut exister que si l’instruction du peuple est une réalité. Grâce à cette instruction, l’ouvrier doit recevoir la formation suffisante pour ne pas s’identifier à ceux qui, souligne Adolphe Devillez, qualifient d’infâme le capital et d’odieuse l’exploitation des travailleurs. Cependant, il ajoute qu’un second type d’enseignement n’est pas accessible à l’ouvrier. C’est celui que reçoit l’enfant de la bourgeoisie à qui on inculque des habitudes d’ordre, de régularité, de prévoyance... il n’y a pas de loi qui puisse communiquer aux classes ouvrières...ces forces morales, traditions de plusieurs générations et ces bonnes habitudes qui font l’honneur et la fortune de la bourgeoisie. Malgré ces réflexions qui, à juste titre, en scandalisent plus d’un, Devillez estime indispensable d’améliorer le sort des ouvriers, ce qui, à son estime, doit entraîner l’apaisement des luttes sociales.

Un an plus tard, le 29 octobre 1876, le président Paul-Émile De Puydt (1810-1891) s’exprime longuement sur les grèves qui ont eu lieu la même année dans les environs immédiats de Mons entraînant, écrit-il, désordres et agitations dont ont souffert tant la population ouvrière que l’industrie. Son discours reflète bien évidemment les vues d’une certaine classe sociale, mais il s’exprime de manière nuancée et non sans lucidité : Il existe, dans les classes dirigeantes, dans la bourgeoisie commerçante et industrielle surtout, un vieux préjugé fortement enraciné, contre toute mesure qui tend au développement intellectuel de l’ouvrier. Qui de nous n’a entendu soutenir que plus celui-ci sera instruit, et plus il sera exigeant et difficile à conduire... J’en conclus, pour ma part, que si l’instruction porte de mauvais fruits, c’est qu’elle est insuffisante ou vicieuse... Dans les pays du Nord… il n’y a pas un homme ni une femme qui ne sache lire et qui ne lise... En résulte-t-il que l’ouvrier y est plus exigeant et plus difficile à conduire que chez nous? C’est le contraire qui est vrai. Le président De Puydt a donc finalement mis l’accent sur le vrai problème : l’absence d’une instruction correcte dans la quasi-totalité de la population ouvrière. Rappelons que l’instruction obligatoire ne sera votée qu’en 1914 et rendue effective après la guerre en 1919, soit 43 ans après l’intervention du président De Puydt et cent ans après les efforts déployés par Germain Raingo, membre de la Société dès sa fondation, devenu ensuite secrétaire-général et vice-président. Raingo a à son actif un Mémoire sur les changements opérés dans l’instruction publique depuis le règne de Marie-Thérèse jusqu’à ce jour, ouvrage couronné par l’Académie de Bruxelles en 1827 et publié la même année ainsi qu’une petite centaine de manuels (éditions et rééditions) dans de nombreux domaines, tant pour l’enseignement élémentaire que moyen : lecture, arithmétique, grammaire, géographie, histoire, néerlandais. Outre une publication sur le système de poids et mesures, il a dirigé un périodique La Bibliothèque des Instituteurs, ouvrage utile à tous ceux qui sont chargés directement ou indirectement de l’éducation de la jeunesse (1819-1834 et 1841). Il n’est donc pas étonnant qu’en 1998, l a faculté de Psychologie et des Sciences de l’Éducation de l’Université de Mons-Hainaut ait dédié à sa mémoire l'Espace Germain Raingo jouxtant l’entrée de la faculté. Ce pédagogue dans l’âme, Montois d’origine, né en 1794, membre de la Société des Sciences, des Arts et des Lettres du Hainaut, méritait bien cette consécration.

Le cinquantième anniversaire de la Société, le 28 octobre 1883, fut fêté dignement, dit le secrétaire Léopold Devillers dans son Rapport sur les travaux de la Société pendant les années académiques 1883-1887. En réalité, le secrétaire ne donne aucune précision sur la cérémonie; il signale simplement le fait et ajoute que la Société fut en léthargie de 1883 à 1887. Elle ne compte en effet plus que 40 membres effectifs suite à de nombreux décès et à l’éloignement de la province de membres actifs devenus ainsi correspondants.

Je ne puis passer sous silence que le 9 janvier 1896, sous la présidence d’Auguste Houzeau de Lehaie, soit huit mois avant que la Belgica ne quitte Anvers notre Société ne pouvait rester étrangère au projet, formé par notre compatriote Adrien de Gerlache, d’un voyage d’exploration dans les régions antarctiques. Elle fut une des premières à s’intéresser à cette oeuvre bien digne d’encouragement et qui, dès le début, fut accueillie avec indifférence, l’opinion publique en notre pays réservant surtout ses préférences et son enthousiasme aux entreprises empreintes de mercantilisme. Cent douze ans plus tard, voici qu’avec vous Alain Hubert, la Société des Sciences, des Arts et des Lettres du Hainaut s’inscrit aussi modestement dans cette aventure scientifique que vous représentez aujourd’hui.

Je me plais également à signaler qu’en 1900, parmi les membres correspondants, on relève la présence d’une personne issue d’une famille montoise bien connue : Émile Jottrand, membre de la Société depuis 1893, à l’époque conseiller légiste du roi du Siam à Bangkok. Deux ans plus tard, de retour à Mons, Émile Jottrand réintègre les membres effectifs de la Société et dirige l’Institut provincial des Industriels du H ainaut devenu Faculté Warocqué d’économie et de gestion, première faculté en date au sein de l’Université de Mons-Hainaut. À cette même date, si la Société ne compte que 54 membres effectifs, elle entretient des relations avec 165 correspondants, plus d’un tiers d’entre eux sont des étrangers. Parmi ceux-ci 45 sont Français, tandis que d’autres résident dans ce pays, comme Ly-Chao-Pee, mandarin, secrétaire-interprète de la Mission chinoise en Europe; d’autres encore sont en poste dans un autre pays, comme le consul de France à Singapour. On relève aussi des correspondants en Allemagne, aux États-Unis, en Bulgarie, Angleterre, Suisse, Pays-Bas, Espagne, Italie.

Le 16 mai 1909, Auguste Houzeau de Lehaie, professeur à l’École des Mines de Mons et sénateur, étant toujours président, la Société fête son 75e anniversaire avec un éclat tout particulier. Elle compte 61 membres et soixante volumes de Mémoires ont déjà parus. Lors de la séance publique marquant l’événement, le président terminait son discours en ces termes : ... la Société des Sciences, des Arts et des Lettres du Hainaut... met en contact des hommes qui s’adonnent à des travaux divers et leur montre comment les liens qui les rattachent se resserrent chaque jour. Elle leur donne ainsi une notion plus complète de la solidarité qui nous unit tous et de la nécessité pour chacun de s’intéresser aux recherches des autres. Il y a donc lieu d’envisager l’avenir avec confiance. En maintenant parmi nous, les saines traditions de liberté, de tolérance... nous pouvons espérer que notre Société atteindra vivante et prospère, l’échéance de son centenaire. Eh oui, Auguste Houzeau de Lehaie, pouviez-vous imaginer qu’il y aurait un 5 octobre 2008 pour marquer le 175e anniversaire de cette société savante?

La Première Guerre mondiale, comme on peut s’y attendre, n’a pas été favorable au développement de la Société. Aucune question programmée au concours de 1913-1914 ne reçoit de réponse. En 1919, la notion de membre correspondant disparaît, tous les membres sont désormais effectifs ou titulaires, comme nous les désignons maintenant. Enfin, en 1924, la Société interrompt sa collection de Mémoires et Publications ainsi que l’ensemble de ses activités.

Vingt ans plus tard, en 1944, sous la présidence de Léon Losseau, l’activité de la Société reprend ainsi que ses publications, mais pour peu de temps : en 1947, la Société semble avoir vécu.

Cependant en 1957, la détermination et l’opiniâtreté de quatre personnes : Maurice Arnould, Nick Forbat, Pierre Houzeau de Lehaie et Pierre Ruelle lui redonnent vie. La Société reprend alors la publication de ses Mémoires et Publications, le volume 71 paraît la même année 1957; elle renoue aussi avec les prix et les concours.

Depuis cette époque, la Société a prospéré. La preuve en est que quelque 25 ans plus tard, elle a fêté dignement son 150e anniversaire. Pour le président de l’époque, le regretté Maurice Carton : Nous pouvons nous montrer résolument optimistes : si l’argent se fait rare, l’activité culturelle et scientifique en Hainaut n’a peut-être jamais été aussi grande. Paroles de visionnaire, car nous pourrions nous exprimer ainsi 25 ans plus tard. Cet argent rare a, hélas, amené la société à abandonner l’attribution de prix; les derniers ont été décernés en 1970. La publication des Mémoires en revanche est toujours bien vivante. Après Maurice Carton, la présidence fut assurée successivement par Marinette Bruwier, Pierre Dufour et Fernand Grard auquel j’ai succédé le premier janvier 2006.

Dix ans après la commémoration du 150e anniversaire, la Société a organisé une exposition en hommage à Jean-Charles Houzeau, astronome, né à Mons en 1820, membre de notre Société et frère d’Auguste Houzeau de Lehaie. Cet homme de science a aussi oeuvré, au péril de sa vie, pour défendre la cause des Noirs en Amérique lors de son séjour dans le sud des États-Unis pendant la guerre de Sécession et ensuite à la Jamaïque. Revenu en Belgique, il succède à Adolphe Quételet à la direction de l’Observatoire royal de Bruxelles. Lors de la séance académique, précédant le vernissage de l’exposition, ont pris la parole, outre le président Pierre Dufour, Pierre Cockshaw, conservateur en chef de la Bibliothèque royale Albert Ier et Léo Houziaux, professeur aux universités de Liège et de Mons, membre de l’Académie royale de Belgique qui a retracé l’ampleur de l’oeuvre astronomique de Jean-Charles Houzeau. L’exposition fut ensuite inaugurée dans les locaux de l’Université de Mons-Hainaut par le recteur Albert Landercy et par moi-même. Une publication témoigne de l’événement.

Depuis le 150e anniversaire, onze volumes de Mémoires et Publications ont vu le jour. La présente séance, accompagnée d’articles ressortissant aux objectifs de la Société, fera l’objet du 104e tome des Mémoires et Publications. Aujourd’hui 157 membres, originaires du Hainaut ou témoignant à la Province un intérêt certain dû à leurs recherches participent aux travaux de la Société. Tous contribuent à porter le renom du Hainaut au-delà de ses limites territoriales.

Nous avons déjà évoqué une remarque, formulée dans un journal de 1833 et particulièrement désobligeante à propos des femmes. Qu’en est-il au sein de notre Société? Elle a admis les femmes en premier lieu parmi ses correspondants, notion disparue, on vient de le voir, en 1919. En 1891, elle accueille Luce Herpin, femme de lettres à Paris; en 1894, Marie Popelin, la première femme universitaire en Belgique, juriste diplômée de l’Université Libre de Bruxelles, mais à qui, étant femme, on avait interdit de plaider. En 1897, elles sont quatre. Quatre également dans le volume qui a relaté les festivités du 75e anniversaire en 1909 : Marie Popelin de Bruxelles, Marie Parent de Bruxelles également, Marguerite Coppin, femme de lettres à Bruges, et Judith Clavel de Paris. L’entrée en tant que membre effectif ne devient réalité qu’en 1957. À la fin de cette année, la Société compte 8 femmes sur un total de 191 membres : Marinette Bruwier, Marguerite Denée, Marie-Rose Desmed-Thielemans, Marie-Madeleine d’Hendecourt, Germaine Faider-Feytmans, Monique Henen, Christiane Piérard, Andrée Scufflaire. Mais quand les femmes ont-elles été admises au sein du Bureau de la Société, c’est-à-dire au sein de l’organe de décision? C’est Germaine Faider-Feytmans qui entre la première en 1957 suivie par Christiane Piérard en 1979. En 1986, elles sont quatre : Christiane Piérard, Marinette Bruwier, Jacqueline Vanderauwera et Marie-Thérèse Isaac. Dix ans plus tard, Claire Lemoine-Isabeau les rejoint et, en 2004, Évelyne Daubie. Soit un Bureau composé de 6 femmes sur 17 membres. Quant à la présidence de la Société, c’est Christiane Piérard qui, la première, l’occupe en 1981; viendront ensuite Marinette Bruwier en 1988 et moi-même en 2006. Évelyne Daubie assure le secrétariat depuis 2004.

Notre Société porte en elle l’héritage de 175 années, années de paix, années de guerre, années de découvertes dans de nombreux domaines. Elle fut aussi, comme toute institution ou État, confrontée à des problèmes d’existence. Mais les difficultés ont été surmontées. Pour continuer d’exister cependant, elle doit aussi être capable de bousculer quelque peu les traditions pour donner pertinence à de nouveaux champs d’investigation et répondre aux exigences d’un monde en perpétuelle mouvance. La connaissance s’inscrit en effet dans un environnement en constante mutation. Aucun domaine du savoir ne fait exception. Et s’il convient d’examiner l’objet de nos recherches sous des aspects multiples, il convient aussi de refuser toute prise de position non rationnelle et toute contrainte idéologique. Il faut certes du courage pour refuser l’assujettissement mercantile à tel ou tel groupe de pouvoir et rester attaché aux valeurs humanistes générées par une Renaissance anthropocentrique afin de poursuivre une recherche avec la liberté d’esprit qui a conduit jadis les plus grands à saper l’argument d’autorité qui avait enserré la science dans un carcan et muselé l’intellectuel qui voulait en sortir.

Les membres de la Société des Sciences, des Arts et des Lettres du Hainaut savent que le chemin vers la connaissance n’est en aucune manière une voie dont l’issue est connue. Chacun apporte une pierre à un édifice qui ne sera jamais terminé. C’est ainsi que nos membres continuent à marquer d’une empreinte novatrice des chemins tracés par d’autres ou s’engagent résolument dans une voie non encore explorée. Mais ce chemin vers la connaissance peut aussi, et pourquoi pas, croiser celui de l’insolence voire celui de la passion que la raison nous a appris à domestiquer.

Modestement, par leurs travaux scientifiques, les membres de la Société de Sciences, des Arts et des Lettres du Hainaut auront sans doute donné vie à un fragment de ce fil ténu qui porte par-delà les siècles l’essence même de la recherche et du progrès continu des connaissances. Auront-ils atteint dignement le but fixé par leurs prédécesseurs? Aux décennies futures de dire si nous avons réussi.
Société des Sciences, des Arts et des Lettres du Hainaut